Cassandra LAPLAUD - BTS1 2012/2013 LPO Maryse Bastié Limoges

Emerveillement

 

Asha est une jeune femme qui vit dans le Tamil Nadu, un état du sud de l'Inde.  Derrière cette image chaotique et polluée de l'endroit, le pays est une terre d'une rare richesse culturelle et historique. Elle en est une des guides touristiques la plus passionnée. Issue d'une grande famille hindouiste, elle tient sa passion de son arrière-grand-père, qui autrefois lui racontait les histoires de leur pays, et lui faisait découvrir les endroits les plus mythiques. Elle représente d’ailleurs bien les femmes de chez elle. Les nuages orageux de ses sourcils surplombent le lac vert de ses yeux. Ses rubans bruns et ondulés à l'apparence soyeuse enrobent son doux visage bronzé. Quand elle sourit, ses lèvres fines laissent apparaître des dents d'un blanc étincelant. Elle a un tempérament de feu avec son air malicieux. Elle est décidée, parfois tête de mule, combative, elle est une battante. Elle n’a pas besoin de beaucoup pour être heureuse et se sentir bien. Dès que les choses qui lui tiennent à cœur sont là,  c’est l’essentiel. Mais Asha est aussi une jeune femme pas comme les autres. Depuis son plus jeune âge, elle est atteinte de trouble des sens. Dans son enfance, il lui arrivait de perdre soudainement l'un de ces sens. Un jour, lors d'une fête religieuse alors que le bruit des manifestations retentissait, elle a été prise d'un étrange étourdissement, elle a eu une sensation de pression et de bourdonnement dans les oreilles, il s’agissait en fait d'une perte brusque de l’audition. Ce n'a pas été la seule, ces troubles se résorbaient au bout de quelques heures, mais les médecins n'ont jamais su d’où ils provenaient.  

Lors de ces étranges crises son grand-père qui est un grand homme proche des  coutumes indiennes pratiquait sur elle une médecine à base de plantes médicinales telles que le banyan qui signale et protège contre le mal. Il lui a dit un jour : «  J’ai toujours entendu dire que les filles indiennes sont spéciales… mais toi ma fille tu es mystérieuse et  miraculeuse.  »

 

Ce phénomène étrange s'estompa, pendant plusieurs années elle n’eut plus aucun signe de trouble des sens. Jusqu’au jour ou son grand-père mourut de vieillesse. Il était bien plus qu'un grand-père pour elle, un meilleur ami. Leurs relation fusionnelle était basée sur le rire, l'échange, le partage, la complicité. Enfant, elle cherchait à passer le plus de temps possible avec lui, c'était son premier compagnon de jeux. Cette perte la bouleversa et la rendit faible. Depuis ce jour-là, Asha ressentait de nouveau de légers troubles des sens. Sa vision se brouillait, son audition bourdonnait, diminuait et elle avait la sensation de perdre la sensibilité de son toucher. Elle eut une période de retrait  où elle se renferma sur elle-même. Désemparée par cette séparation, elle ressent un vide, un malaise, rien ne va plus, c'est une souffrance énorme. Mais elle se rappela des paroles de son grand-père. « Ma fille, avoir conscience du tragique de certaines situations dans l’existence est une chose, enfermer la totalité de l’existence dans le tragique et l’absurde sous prétexte de l’existence de telles situations en est une autre. Dans la vie, nous n’avons pas le choix. Si nous voulons survivre, il faut arrêter de penser que la mort est plus forte que la vie. Ce n'est pas la souffrance qui donne un sens à la vie, mais la vie qui donne un sens à la souffrance. »  Elle se rattacha à ces grandes paroles et à la passion que son grand-père lui avait transmise, l’histoire de son pays. Le fait de revenir sur les pas de son grand-père en faisant visiter les touristes lui procurait un bien-être mais aussi une certaine tristesse qui l’affaiblissait.

 

Un jour elle se réveilla avec une étonnante et désagréable impression de ne plus sentir ou alors très peu le contact de ses draps. Désorientée, elle en perdit ses repères. Elle n'arrivait plus a différencier les textures douces des textures rudes, le poids de ces vêtements sur son corps n'était que poussière. Sans même son apercevoir elle s’égratigna et se blessa la peau au contact de son chevet rugueux. Il s’agissait  en fait ni plus ni moins d'un de ses perpétuels troubles sensoriels. Mais celui-ci n’était pas passager, les jours passaient et la gêne elle-aussi était toujours présente. Mais elle ne se découragea pas, elle s'ouvrit au monde et  réapprit à apprécier son environnement en l'absence de ce sens du toucher. Mais ça ne s’arrêta pas seulement au toucher. Elle redécouvre de manière totalement différente tous ces temples indiens qu'elle croyait connaître par cœur et qu'elle faisait découvrir aux touristes dans le cadre de son travail. Son émerveillement consistait à découvrir des trésors derrière le vide de cette perte. 

        

La nature, dont  elle est dépendante, ne se maîtrise pas, elle finit inévitablement par reprendre le dessus. Même si c’est beaucoup d’efforts , elle aime affronter son hostilité et continuer de se laisser surprendre par les bruits définitivement imprévisibles. Elle aime voir les exploitations de thé poussé là où on l'a semé, et le paysage changer selon la manière dont on l’a façonné; elle aime la sauvagerie animale et végétale de cette terre, et la profusion des racines du banyan un arbre sacré . Aucun paysage ne ressemble à celui d’avant, et chaque saison est différente de toutes les autres. Elle se  régale chaque fois qu'elle se promène sur cette terre pleine de richesses culturelles, travaillée depuis des siècles ; elle a l’impression d’y être au plus près des racines de l’homme, ça l’émeut encore et encore. Son corps entier le dit, s’agite, il crie de joie ou de surprise à chaque découverte ou redécouverte de toutes ces merveilleuse choses de la nature que son grand-père lui a dévoilées. Elle a toujours été très enthousiaste. Chaque jour est une occasion de découverte, d’étonnement et d’intérêt. Tout l’intéresse, tout la passionne, tout la subjugue, tout est un événement. Elle est émerveillée car elle se rend compte que tout communique d’ouverture à ouverture et que, une chose en amenant une autre, la vie est riche de sens.

           

Pour arriver à cet émerveillement, il faut avoir surmonté la tristesse, la lassitude, la révolte, le désespoir et donc les avoir rencontrés. Certaines personnes ont cet émerveillement. Elles ont vécu, elles ont lutté, elles ont souffert ; elles pourraient se refermer dans l’amertume et le chagrin à l’approche de la mort, elles n’en font rien. Au lieu de se mettre en état de désenchantement, elles se mettent en état d’émerveillement. Et, ce faisant, un miracle s’opère, la vie se met à parler. L’émerveillement correspond très exactement à la découverte du monde. Le monde n’est pas inerte, il ne cesse d’exprimer, de développer, de combiner, de fabriquer, de transformer. Tout commence avec cette expérience du sens. La vie a du sens. Nous sommes là, la vie est là, le langage est là. Il y a quelque chose et non pas rien.

    

Cassandra.